La forme du texte sera au féminin pour la légèreté du texte.
Cet article est tiré de mes expériences passées. Un chemin que je ne conseille guère.
Au-delà des jugements
Parler du travail du sexe, c’est oser briser les silences, déconstruire les préjugés et donner une voix à celles qui, trop souvent, sont réduites à des clichés. Derrière chaque histoire, il y a une femme. Une femme avec ses choix, ses raisons, sa dignité. Une femme qui mérite d’être entendue, comprise, et surtout, respectée. À travers ce partage, je souhaite ouvrir une fenêtre sur une réalité complexe, nuancée, parfois difficile, mais aussi empreinte de courage, de résilience et d’humanité. Il ne s’agit pas de convaincre, mais d’inviter à regarder autrement. Avec empathie et bienveillance.
Mon histoire, sans filtre
J’ai longtemps gardé le silence. Non pas par honte, mais parce que je savais que ce que je vivais ne serait pas toujours compris. Aujourd’hui, j’ouvre une porte sur une partie de mon parcours que peu connaissent, mais qui fait pourtant partie de moi.
Le travail du sexe, je ne l’ai pas choisi par hasard. Il est venu à moi dans un moment précis de ma vie, avec ses raisons, ses zones d’ombre et de lumière. Derrière chaque rendez-vous, chaque regard croisé, il y avait une femme — moi — avec ses émotions, ses contradictions, son humanité.
Ce que je veux partager ici, ce n’est pas une justification. C’est un morceau de vérité. Une expérience vécue, ressentie, traversée. Avec ses hauts, ses bas, et tout ce qu’il y a entre les deux. Parce qu’au fond, il s’agit d’amour-propre, de survie, de liberté parfois. Et surtout, de regard : le mien, le vôtre, celui qu’on porte sur ces femmes qu’on croit connaître, mais qu’on ne prend pas toujours le temps d’écouter.
Le point de bascule
À 28 ans, je me suis retrouvée seule avec ma fille de 5 ans. Du jour au lendemain, tout avait basculé. Suite à de nombreuses séances de violence conjugale, j’ai quittée cet homme violent.
Je n’avais que quelques jours pour déménager, trouver un appartement, et surtout… tenir bon. Une fois installée, je n’avais plus que les allocations pour subvenir à ses besoins. J’avais dû démissionner de mon emploi à cause d’une blessure qui me rendait le travail pénible, voire impossible.
Ma mère payait le logement. Ma soeur, de son côté, assumait les courses et les médicaments de ma fille. Moi, je survivais. Et je m’enfonçais lentement dans un sentiment de honte mêlé de gratitude, d’impuissance et de colère. Deux mois de dépendance à l’argent de ma famille d’accueil. Deux mois à pleurer en silence une dignité que je sentais m’échapper.
Puis un matin, en feuilletant distraitement le Journal de Québec, une petite annonce a accrochée mon regard : « Hôtesses recherchées – Agence privée. Très payant. »
Mon coeur s’est mis à battre plus vite. J’ai relu l’annonce au moins cinq fois avant de prendre le téléphone. Composé le numéro m’a presque rendue malade. Mais j’ai appelé.
Une femme m’a répondu. Sa voix était douce, presque rassurante. Elle m’a proposé un rendez-vous pour le lendemain. C’était simple. Trop simple. Et pourtant, j’ai accepté. Le lendemain matin, après avoir conduit ma fille à l’école, j’ai pris l’autobus, le coeur lourd. L’adresse me semblait irréelle. Comme si je me dirigeais vers un autre monde, un autre moi. J’avais l’impression de flotter, de ne pas appartenir à cette scène.
Je savais vaguement ce que ce genre de travail impliquait. Mais ce que je ne savais pas, c’étaient les conséquences. Pas celles qui se lisent dans les journaux. Celles qui se vivent dans le coeur. Dans le corps. Dans l’âme.
En pénétrant dans l’immeuble, j’étais nerveuse. Le coeur battant, les mains moites, l’impression d’être à la fois là… et ailleurs. Mais je me répétais en boucle que je devais prendre mes responsabilités. Pour ma fille. Juste le temps que ma blessure guérisse. Juste assez pour retrouver un emploi « normal », une stabilité. Une vie.
En montant les marches, j’entendais déjà des bruits sourds, étouffés… des rires, puis des gémissements qui venaient de l’étage. Mon estomac se serra, mais je continuais d’avancer. Comme on marche droit vers une tempête, en se disant qu’on n’a plus rien à perdre.
C’est Lise qui m’a accueillie à la porte. Une femme aux cheveux blonds platine, maquillée, souriante, énergique. La propriétaire des lieux. Et comme pour briser la glace, au moment précis où elle m’a ouvert, un cri de jouissance a retenti quelque part derrière elle. Elle m’a regardée, j’ai baissé les yeux, gênée. Bienvenue, m’a-t-elle dit avec un petit clin d’oeil. Et on a éclaté de rire. Un rire nerveux, mêlé de malaise, de surprise… mais aussi de soulagement. Comme si, juste l’espace d’un instant, elle comprenait exactement ce que je vivais.
On s’est installées dans ce qu’elles appelaient le « salon des hôtesses ». Une pièce banale avec un vieux divan en cuir craquelé, des miroirs un peu trop grands et une odeur de parfum bon marché qui flottait dans l’air. C’était là que se déroulait « l’entrevue »… si on peut appeler ça une entrevue. J’avais presque envie de rire.
Lise s’est assise en face de moi, le regard vif, l’expérience dans les yeux. Moi, j’étais assise droite, un peu tendue, mais lucide. Sans vantardise, je savais ce que je dégageais. J’étais une jolie femme. Une vraie. Mes formes généreuses, ma poitrine naturelle, mes fesses bien rondes, je savais que ça ne passait pas inaperçu. Et dans ce milieu, c’était un atout. Un gros.
À peine quelques minutes s’étaient écoulées que Lise me lançait, d’un ton détaché : Si tu travailles bien, tu peux facilement faire entre 800 et 1000 $ par jour. Je l’ai regardée, incrédule. Je pensais avoir mal entendu. Mille dollars ? Par jour ?
Je riais intérieurement. Comment pouvais-je gagner autant d’argent… en faisant quelque chose que j’aimais ? Le sexe, c’était pas nouveau pour moi. C’était un langage que je comprenais bien. Un plaisir que je ne me refusais pas. Et là, on me disait que je pouvais en faire un métier. Un vrai. Payant.
C’est à ce moment-là que tout a basculé. Pas par besoin de luxe. Par nécessité. Par instinct. Par survie. J’ai commencé le lendemain soir.Ma fille était chez mes parents pour le week-end — Dieu merci. Je pouvais respirer un peu, sans questions, sans petits yeux qui observent tout. Lise, elle, n’avait pas perdu de temps. Une nouvelle chair fraîche dans une agence, c’est comme un nouveau plat au menu : tout le monde veut y goûter. Elle annonçait ma présence à chaque client qui appelait, et en quelques heures, mon agenda était plein à craquer.
Ma première soirée fut… intense. Épuisante. Huit heures de travail, quatorze clients. Oui, quatorze. La majorité réservait pour trente minutes. Trente minutes qui, à l’époque, me rapportaient 80 $. Froidement mathématique. Pas de place pour les états d’âme.
À la fin de la soirée, j’avais accumulé 1200 $. Moins le repas et le taxi, je suis rentrée chez moi avec 1145 $ bien comptés dans mon sac. J’étais vidée. Physiquement, mentalement. Mais j’étais aussi soulagée.
Le frigo allait enfin être plein. Ma fille, elle, ne manquera de rien. Pas cette semaine. Et moi ? Moi, j’étais encore debout. J ai fais ce que j’avais à faire. Un travail à temps plein comme escorte!
Les jours suivants, tout s’est enchaîné. Une sorte de routine s’est installée, presque naturellement. Le matin, je préparais les lunchs, je peignais les cheveux de ma fille en lui racontant des histoires drôles pour cacher mes cernes. J’étais la maman douce, présente, fiable. Celle qui fait des crêpes le samedi et connaît par coeur les paroles de ses comptines préférées.
Mais une fois la nuit tombée, je devenais quelqu’un d’autre. Une autre version de moi-même. J’enfilais une robe moulante, je mettais du rouge sur mes lèvres et du silence sur mes émotions. Je redevenais « la nouvelle », celle qu’on appelait à toute heure pour un rendez-vous rapide, un fantasme, une échappatoire.
Le plus étrange, c’est que j’étais bonne dans ces deux rôles. Trop bonne, peut-être. J’étais capable de passer d’un dessin animé à un massage érotique comme on change de chaîne. Avec détachement. Avec maîtrise.
Mais chaque fois que je posais mon sac au pied du lit, que je rangeais les billets bien pliés dans une boîte en métal cachée dans le fond de mon garde-robe, je me demandais : combien de temps je pourrai vivre comme ça ? Combien de temps avant que l’une des deux vies ne déteigne sur l’autre ?
Parce qu’à force de jouer des rôles, on finit par se demander qui l’on est vraiment. Et moi, j’avais encore besoin de me convaincre que tout ça… c’était temporaire. J’ai travaillé à cet endroit pendant trois ans.
Trois années à vivre dans un monde parallèle, à jongler entre luxe et désillusion. En moyenne, je faisais 120 000 $ par année. Oui, tu as bien lu. Sans compter les extras : voyages payés par des clients, soupers dans des restos que je n’aurais jamais pu me permettre autrement, cadeaux de toutes sortes. Sacs griffés, bijoux, argent comptant… J’étais gâtée, comme une princesse d’un royaume fragile. Trop peu cher payé, diront certains. Mais moi, parfois, je me disais que c’était déjà trop. J’ai encore, parfois, l’odeur des clients au nez. Cette sueur mêlée de parfum cheap, ce mélange de peau et d’oubli. J’ai des flashbacks. Moins qu’avant, mais ils reviennent. Ils s’accrochent dans les silences, dans les nuits d’insomnie, dans certains regards croisés au hasard.
Il faut le dire : pendant cette époque, je suis devenue alcoolique. L’alcool, c’était ma gomme à effacer. Bon, j’ai commencée à boire à l’âge de 14 ans, lorsque les agressions sexuelles ont débutées. J’avais jamais arrêter mais ç cette époque ma consommation était devenue excessive et ce, à chaque soir. Ça me calmait, ça me déconnectait. Problème réglé aujourd’hui, avec du temps, de l’aide, et beaucoup d’honnêteté envers moi-même.
Et puis, il y avait mon train de vie. Ah, ce fameux V8. Un gros camion qui consommait plus que moi en vodka. Mais j’avais les moyens. Et tant qu’à vivre une double vie, autant qu’elle ait du style. Bronzage, manucures, épilation, coiffeuse deux fois par semaine. Je sortais dans les restos les plus huppés. Je rayonnais. En surface. Je m’en faisais à croire. Je regardais les femmes accompagnées de leur mari, et je me disais, pauvre femme ton mari payerai cher pour me bais..
Mais à l’intérieur… je ne savais plus trop qui j’étais. Ou plutôt, je savais, mais je ne voulais pas le voir. J’ai tentée de reprendre une vie « normale ». Un emploi en santé, des horaires stables, un quotidien qui rentre dans les cases. Mais la vérité, c’est que ma réalité intérieure ne s’était pas ajustée. Le mal était là. Silencieux, mais bien ancré.
L’alcool ne m’avait pas quittée. Il était devenu mon compagnon fidèle, discret mais destructeur. Petit à petit, j’ai perdu pied. J’ai fait faillite. Tout ce que j’avais amassé, tout ce que j’avais cru contrôler, s’est effondré. Et le spectre de la pauvreté est revenu frapper à ma porte, froidement, comme un vieux souvenir qu’on croyait enterré.
C’est à ce moment-là qu’un client, un habitué, m’a tendu une perche. Il m’a proposé de financer un local. De m’aider à démarrer un salon d’hôtesses. Il voyait en moi une femme de tête, une leader. J’ai acceptée, presque machinalement. Sans trop réfléchir. Parce qu’entre sombrer ou replonger dans un monde que je connaissais, le choix m’a semblé évident.
Quelques mois plus tard, le salon fonctionnait à plein régime. J’avais quatre, parfois cinq filles sous mon aile. J’étais devenue la « madame », celle qui gérait les rendez-vous, qui formait les nouvelles, qui gérait les horaires, les caprices des clients et les états d’âme de toutes. Et franchement ? Tout allait pour le mieux. Les dollars pleuvaient. Encore une fois.
Mais cette fois-ci, ce n’était plus mon corps qui rapportait. C’était mon esprit, ma débrouillardise, ma capacité à naviguer dans ce monde avec intelligence. Et pourtant… au fond de moi, quelque chose grondait encore. C’est à ce moment-là que je l’ai rencontré.
L’homme que j’allais épouser. Celui qui, à mes yeux, représentait enfin la possibilité d’une vie différente. Une vie rangée. Simple. Sûre. Il ne savait pas tout de moi, du moins pas tout de suite. Et j’avais envie, pour la première fois depuis longtemps, de me construire autrement que par les regards des autres hommes. Alors j’ai arrêtée. J’ai mis la clé sous la porte. J’ai fermée le salon. J’ai raccrochée les talons et les faux sourires. Pas pour fuir, du moins, c’est ce que je me disais, mais pour croire que j’étais enfin « rentrée dans le droit chemin ». Pour lui. Pour moi. Pour nous.
Mais la vérité ? Ce monde-là ne te quitte jamais. Pas longtemps après, les vieux démons sont revenus. Discrets d’abord, puis de plus en plus présents. L’ennui, le manque de contrôle, la nostalgie malsaine de cette vie où j’avais l’impression d’avoir du pouvoir, de la valeur, du cash plein les mains. J’étais censée être heureuse, amoureuse, rangée. Et pourtant… une partie de moi n’était jamais sortie du salon d’hôtesses.
Ce n’était pas l’argent. Ce n’était pas le sexe non plus. C’était plus subtil. Plus tordu. C’était ce sentiment d’exister, fort, intense, vivant… que je ne retrouvais nulle part ailleurs. Et comme une vieille habitude, j’y suis retournée. En secret. Parce que quand on pense avoir quitté quelque chose pour de bon… ce quelque chose nous rappelle souvent à lui quand on s’y attend le moins. L’argent facile a ce quelque chose d’enivrant. Il donne l’illusion qu’on contrôle tout, qu’on est plus forte que le système, qu’on a trouvé une faille dans le jeu. Et c’est vrai… au début. C’est agréable à manipuler. Ça rassure. Ça apaise les peurs les plus profondes. On se dit qu’on s’en sortira toujours, qu’on retombe sur nos pieds plus vite que les autres.
Mais le sort qu’il nous réserve, lui, n’a rien de tendre. Que ce soit dans le travail du sexe en ligne ou en présentiel, les dommages sont les mêmes. Invisibles, silencieux, parfois différés… mais impitoyables. Ce n’est pas toujours le corps qu’on épuise, c’est l’âme. C’est l’estime. C’est le rapport à soi, aux autres, à l’amour, au vrai.
On se perd à force de jouer un rôle. On se coupe de ses émotions pour survivre à chaque rendez-vous, chaque faux sourire, chaque mot doux payé à l’heure. Et un jour, on ne sait plus vraiment si ce qu’on ressent est vrai… ou juste un vieux réflexe. Ce monde-là, on ne le quitte jamais complètement indemne. Même quand on en sort.
J’ai fini par tout arrêter. Vraiment, cette fois. Mais pas tout en fait en vrai. Pas parce que c’était facile. Pas parce que j’étais guérie. Mais parce que j’étais en train de disparaître. Et que ma fille, cette petite lumière dans ma vie, méritait une mère entière. Vivante. Présente. Vraie.
La reconstruction a été lente. Parfois douloureuse. Il m’a fallu réapprendre à m’aimer sans être désirée. À me valoriser autrement que par le regard des hommes ou le montant d’un pourboire. J’ai dû faire face à tout ce que j’avais enfoui : la honte, les blessures, les regrets, mais aussi… une immense résilience.
Aujourd’hui, je ne juge pas celles qui y sont. Je comprends. Trop bien. Mais si je peux dire une chose à celle qui hésite, qui pense que ce sera « juste un moment », « juste pour dépanner » : n’y va pas. Ce monde est une cage dorée. Il te donne vite, et te reprend lentement. Et ce qu’il prend, parfois, c’est toi.
Il y a d’autres façons de se relever, même si elles sont moins payantes au début. Mais elles te laissent intacte. Elles ne te volent ni ton reflet dans le miroir, ni ton sommeil, ni ta paix intérieure.
Je ne suis pas parfaite. Je ne suis pas fière de tout. Mais je suis debout. Et chaque jour, je choisis la lumière, même quand l’ombre me fait encore signe.
Toute une histoire… mais je vois du courage, de la bienveillance et de la résilience dans ton parcours. Bravo à toi d’en être sortie la tête haute!
Je te remercie pour ton commentaire. Être vraie et authentique, c’est tout ce qu’il me reste — je n’ai plus rien à cacher. Mes choix ont été façonnés par l’éducation et les repères qu’on m’a transmis. Mon prochain livre, « Chambre 314 – Ni pute, ni fée, juste moi », raconte tout cela, sans filtre, sans fard. Une plongée dans ce qu’on ne dit pas, mais qui mérite d’être entendu.
— Léa